Manifeste

Nourrir la vie ou produire la mort ?

Nourrir, c’est prendre soin de l’autre, y porter attention1. Santé physique2, santé psychique3, santé de la terre/Terre et de ses communs, tout est lié4. De nombreuses initiatives paysannes contemporaines, mêlant savoirs, savoir-faire et créativité œuvrent en ce sens. Leurs capacités à nourrir le monde ne fait plus de doute5. Dans les paysages nourriciers qu’elles élèvent, plantes, bêtes et gens agissent en synergie. Mais voilà que les mots “nourrir” et “paysan” déployant avec eux l’espoir pour les générations présentes et à venir sont repris, pervertis par les lobbies de l’agriculture industrielle et de la chimie. Une agriculture qui met en péril la santé de ses agricultrices, agriculteurs, des populations comme de tous les vivants. Une agriculture qui formate des paysages mutilés où la diversité vivante, culturelle ne peut plus pousser6.

Le mouvement des indigné·e·s alerte sur les effets toxiques de cet amalgame entre nourrir les gens par une économie fertile7, solidaire et alimenter le business. Une confusion que la majorité des médias entretiennent en ignorant les enjeux de société à l’œuvre dans le mouvement agricole de ce début 2024. Une confusion avec laquelle jouent les mesures politiques européennes, nationales comme vient de le faire en France le premier ministre dans son discours du 26 janvier 2024 et dans ceux qui ont suivi8. Les mesures annoncées appellent à poursuivre un modèle sans issue, à total contre-courant des travaux scientifiques, nombreux sur les conséquences délétères des pesticides9, des pratiques à rebours du vivant qui caractérisent l’agriculture conventionnelle industrielle en France ainsi qu’ailleurs10. Les décisions politiques anti-environnementales annoncées par le Gouvernement français dans l’urgence encouragent un pseudo-imaginaire d’une toute-puissance virile et guerrière. Elles valorisent l’exploitation des biens communs, leur pillage, la dislocation des territoires et dévalorisent les forces résilientes de l’agroécologie paysanne. Elles visent à imposer le non-sens de la démesure où se profilent des champs de ruine que nous devrions subir, en silence dans une anesthésie générale. Un jeu auquel les paysan.ne.s sont forcément perdant.e.s11 tout comme les populations. Ironie du sort ; la fertilité masculine est justement aujourd’hui mise à mal par les pesticides dont le glyphosate12

Nous avons besoin d’une économie fertile pour les paysan.ne.s, la société et la terre/Terre13. Nous avons besoin de la beauté vivante des lieux, nous aspirons à élever nos enfants en paysages nourriciers de liens solidaires, de sens, de créativité, d’espoir. Indignons-nous !

Les indigné·e·s est un mouvement apolitique lancé par des scientifiques. Parce que la nourriture touche à la porosité des mondes – l’économie, la culture, la santé, l’enseignement, l’aménagement du territoire, les paysages, l’écologie… ensemble indignons-nous sous une diversité d’actions respectueuses des biens, des personnes et de la Terre. Les formes d’action et de communication sont à co-construire avec les organisations et collectifs qui le souhaitent, liés à la santé, la culture, l’enseignement, l’agriculture, l’environnement...

1 Cf. Pignier, Nicole (2023), Paysages nourriciers. Un dialogue entre cultures et savoirs. Edts Connaissances et savoirs, Paris

2 Cf. Decocq Guillaume, Boomerangs, (2023), Comment la mise à mal de notre environnement met en danger la santé humaine, Edts du Rocher, Paris

3 Le Van Quyen, Michel (2022), Cerveau et Nature, Pourquoi nous avons besoin de la beauté du monde ? Flammarion, Paris

4 Cf. Tribune « Pesticides : « Tirons du drame de l’amiante des leçons pour l’avenir » d’un collectif de présidents de Mutuelles françaises, publiée dans le journal Le Monde le 29 janvier 2024

5 Cf. Billen, Gilles (2021), « Une agriculture biologique pour nourrir l’Europe en 2050 ». Lien : https://www.cnrs.fr/fr/presse/une-agriculture-biologique-pour-nourrir-leurope-en-2050 - lien externe

6 Cf. Tribune « Habiter la terre, ménager la Terre », publiée par un collectif de scientifiques le 1er avril 2022 (Pignier, Nicole et Faburel, Guillaume coord.) dans le journal Libération

7 Cf. Dufumier, Marc (2023), La transition agroécologique. Qu’est-ce-qu’on attend ? Edts Terre vivante

8 Cf. Tribune « Normes, Ecophyto… Les réponses du gouvernement à la colère agricole risquent d’être contreproductives », publiée par un collectif de chercheurs dans Le Nouvel Observateur le 6 février 2024

9 Cf. Tribune d’un collectif de chercheurs « Nous, chercheuses et chercheurs, dénonçons la mise au placard des connaissances scientifiques » publiée dans Le Monde le 7 février 2024

10 Cf. Tribune de Marc-André Selosse, « On ne pourra sauver l’environnement sans les agriculteurs, et réciproquement », publiée dans Le Monde le 1er février 2024

11 Cf. témoignage d’une agricultrice en AB : http://france3-regions.francetvinfo.fr/hauts-de-france/oise/mise-en-pause-du-plan-ecophyto-c-est-tout-ce-qu-il-ne-fallait-pas-faire-estime-une-agricultrice-bio-2918970.html - lien externe ; cf. témoignage de Gilles Ravard, journal de 8h France culture le 6 février 2024 : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/journal-de-8-12 - lien externe

12 Cf. https://www.frequencemedicale.com/generaliste/patient/180511-L-exposition-aux-pesticides-peut-nuire-a-la-qualite-du-sperme - lien externe

13 Cf. https://atecopol.hypotheses.org/9591 - lien externe